Le premier article d’une série ayant comme sujet ces voitures exceptionnelles d’un autre temps: des voitures uniques des années 1900.
Ces monstres de puissance affichant des cylindrées de plus de 20 litres pilotées par de véritables gladiateurs.
La première:
La Darracq V8 Special 200. Un dragster français de 1906.
Le pilotage automobile de haut niveau est certainement une discipline qui demande du doigté et du courage mais quand on a la chance de voir une course de voitures de 1900-1910 on ne peut s’empêcher de penser que les pilotes de ces voitures devaient avoir du doigté, du talent et une sacrée dose d’inconscience, voire de folie.
Mais la vie ne serait elle pas bien insipide sans la folie?
Nous parlons d’une époque où la ceinture de sécurité n’existait pas, où le casque intégral était remplacé par une fine cagoule de cuir, une époque où les revêtements routiers étaient inexistants, où le freinage était plus que relatif et où les roues s’apparentaient plus à des roues de vélo en bois.
Malgré tous ces risques, rien n’allait empêcher ces hommes, ces têtes brûlées de dépasser les limites au volant de ces véritables bombes roulantes imaginées par des ingénieurs de talent.
Ces voitures étaient de véritables dragsters, des engins fait de fer, d’acier, sentant bon l’essence et l’huile ayant comme unique but : les records de vitesse.
La Darracq V8 « 200 » fut construite pour cela : Battre des records.
La société Darracq, basée en France, porte le nom de son propriétaire, un ingénieur français, Alexandre Darracq ayant fait fortune dans les cycles.
Après avoir vendu sa société de cycles en 1896, il construisit une usine à Suresnes et se lança dans la construction automobile.
En 1901 Alexandre Darracq présente une automobile entièrement conçue et construite par son entreprise: un Runabout réalisé en tôle d’acier emboutie et en construit plus de 1000 exemplaires. Ce fut le début du succès.
En 1904, la société Darracq continue de grandir. Elle produit 10% du parc automobile français et devient le troisième producteur français derrière Renault et Peugeot.

En 1905, Alexandre Darracq désire s’attaquer aux records de vitesses et construit un monstre de 25 litres de cylindré. Le moteur, constitué de deux blocs de quatre cylindres culbutés, a un alésage 140 mm et une course de 170 mm. Les deux blocs sont reliés par un carter inférieur en alu. L’angle d’assemblage du V 8 est a 90°. Tout cela donne une puissance de 200 CV à 1200 t/min.
La distribution est à soupapes en tête, l’allumage se fait par un Magneto Nieuport et deux carburateurs nourrissent ce monstre.


La voiture est réduite à son plus simple dessin : un châssis, un moteur, quatre roues, un réservoir et deux sièges placés entre le réservoir et le moteur. Une véritable bombe sur roue.
Cette voiture unique sera présentée à l’équipe d’inspection ACF à Salon-en-Provence.
Sur la route en terre reliant Salon à Arles, la vitesse de la voiture fut mesurée entre les bornes 49 et 50.
Les listes de temps montrent 4 passages : 21,8 secondes, 20,6 secondes; 20,8 secondes et 20,6 secondes pour le kilomètre lancé, un record de 176 Km/h. Hemery,
le pilote, considérait que le temps très froid avait un mauvais effet sur la carburation, et que les futurs records seraient prochainement battus.

Fin de l’année 1905 la voiture embarqua sur un paquebot pour une traversée de l’Atlantique, direction des Amériques pour la semaine des records de vitesse sur la plage de Ommand Beach qui prenait place du 20 au 27 janvier 1906.
Une anecdote, non vérifiée, est assez croustillante concernant cette semaine des records. Victor Hémery, le pilote attitré de la Darracq V8 s’élança, bravant des conditions climatiques très compliquées et effectua une tentative sans autorisation officielle. De retour aux stands il apprit que son temps ne fut pas pris en compte. Furieux il plaça sa voiture au stand où il aurait, malencontreusement, mis le feu aux stands Healey avec des flammes sortant de ses échappements…..

Suite à cet événement, Louis Chevrolet le remplaça au volant de la Darracq et établit un record à 189,98 km/h. Mais comme le pilote suisse de renom qui fondera plus tard la marque homonyme, trouva la voiture dangereuse, il demanda une augmentation de salaire pour un nouvel essai. Celle-ci lui fut refusée et il céda alors le volant à Marriot qui pour sa part atteignit les 196,2 km/h. Ce ne sera que quelques jours plus tard que Demongeot atteignit 197 km/h, ratant la barre mythique des 200 km/h.



Suite à cette belle prestation la voiture participa à plusieurs courses, dont la célèbre Coupe Vanderbilt où elle remporta la victoire.
NB: La coupe Vanderbilt est la plus ancienne compétition automobile aux Etats-Unis, sa première édition date de 1904. Darracq remporta la coupe en 1905 également avec une autre voiture.

De retour sur le continent la voiture fut vendue à Algenon Lee Guinness, le fondateur de la fameuse marque de bière, qui tentera à son tour d’atteindre les 200 km/h.
Malheureusement sa plus rapide expérience fut chronométrée sur la plage d’Ostende à 193 Km/h.
Pour se consoler il inscrivit la voiture à la course de côtes de Gaillon qu’il remporta.
Notons néanmoins que parmi les records détenus par cette voiture unique figure le kilomètre lancé. Distance qu’elle parcourut en 19 secondes et le kilomètre départ arrêté en 32,4 secondes.
La Darracq V8 Special restera la première voiture au monde avec un moteur V8, roulant à une vitesse de 5 mètres par seconde.
Suite à cela le moteur de la voiture cassa et Algenon Lee Guinness remisa la voiture dans son garage. A la mort de celui-ci elle fut revendue et le moteur fut re construit.
Après de nombreuses années de travail, la voiture a retrouvé toute sa puissance et est magnifiquement pilotée par son propriétaire actuel.





